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Les retours sont un sujet difficile, mal connu et évidemment conflictuel du fait de ses implications financières. C’est aussi totalement spécifique à la chaîne du livre, ça n’existe dans aucun autre métier.

La vie officielle du livre commence lorsqu’il entre dans le catalogue du distributeur. Il n’est pas forcément fini à ce moment-là, mais nous connaissons ses caractéristiques futures et nous avons suffisamment d’extraits pour communiquer. Ce catalogue est diffusé par le diffuseur et ses représentants qui sillonnent le territoire et placent des livres auprès des libraires. Ces derniers commandent un certain nombre d’exemplaires, mais cette commande n’est pas ferme. Quand le libraire reçoit ses livres, il tente alors de les vendre durant la période de mise en avant des nouveautés. Il doit ensuite attendre 3 mois s’il veut faire des retours pour les exemplaires restants. C’est-à-dire qu’il va les renvoyer au distributeur qui va le rembourser. Ne cherchez pas, il n’existe aucune autre industrie ou commerce qui fonctionne de cette façon… Si vous travaillez avec des libraires, vous devez accepter et prévoir ce fonctionnement.

Par exemple, vous placez 1 000 exemplaires d’un livre en nouveauté, les libraires ont deux ans (en général) pour le retourner. En fonction des titres et de leur comportement, le taux de retour peut varier entre 10 % et 50 à 60 % (ce qui est énorme). Cela veut dire que plus de la moitié de votre placement, disons 500 livres, retournent, souvent abîmés, dans les entrepôts de votre distributeur. On dit le mot retours, mais certains éditeurs vont systématiquement détruire les exemplaires au lieu de les récupérer. 

Pourquoi ? Pour économiser sur les coûts de transport, de traitement des livres (le tri entre les neufs et les abimés) et de stockage. En effet, pour trier des livres, puis les ranger, il faut des humains et il faut évidemment les payer. Précisons que lapin ne détruit pas ses retours et paye son distributeur au taux maximum. Les livres abîmés chez le distributeur sont pilonnés 95 % du temps. L’éditeur peut en récupérer, et un circuit associatif de recyclage est en cours de discussion chez eux. 

Financièrement, qu’est-ce que cela veut dire ? Sur l’exemple en question, l’éditeur va devoir rembourser 50 % de la somme qu’il avait touchée… Une nouveauté paraît en mars ? L’éditeur facture le distributeur en avril, touche l’argent en août… Et les deux années suivantes, il rend 50 % de cet argent (la plupart l’année n+1). Rares sont les livres qui vivent plus d’un an, les retours sont généralement rapides, dans les six mois à un an. Pire : dans les faits, les retours continuent après deux ans… C’est pour cela que lorsqu’on paye les droits d’auteurs, on garde une provision sur retour pendant deux ans minimum. Et c’est parce que les taux de retours constatés sur les nouveautés sont très élevés en ce moment que la provision l’est aussi. Même les “best-sellers” subissent des retours, 5 à 10 % facilement, mais pour ces titres, les placements annuels restent plus forts.
Nous allons vendre 2 000 exemplaires d’un de nos titres de fond mais gérer néanmoins 200 retours par exemple. 
L’année n+2, la provision pour retour est réintégrée aux droits d’auteurs et une provision plus faible est prise pour anticiper la fin desdits retours. Sauf mévente, il n’y a plus besoin de provision l’année n+3, voire n+4.

 

L’année 2020 a été une année très mauvaise pour les livres avec les premières fermetures de librairies les mois de parution des livres. Ceux qui sont parus en mars n’ont pas ou peu vu la couleur du public. Pourquoi ? Parce que, deux mois après, à la réouverture des librairies, d’autres livres sont arrivés. Alors les libraires ont dû faire un choix, et beaucoup ont sorti les plus récents et rangé dans des cartons les vieux d’il y a deux mois… Conséquence : en 2022, nous continuons de recevoir beaucoup de retours de nos parutions de 2020 pour des taux dépassant même les 60 % au total. Si 2021 a été une bonne année d’après les observateurs, c’est une moyenne. Les best-sellers, les séries et les mangas ont cartonné, même chez les éditeurs alternatifs. Mais la plupart des parutions étant des nouvelles œuvres, elles rencontrent de grosses difficultés à se faire une place sur les étals de nos jours.